Bertrand Alliot : « On a fait beaucoup pour l’environnement, les ONG sont obligées de se radicaliser pour trouver une raison de vivre »

Interview dans Valeurs Actuelles 15/09/2021

Spécialiste des questions d’environnement, ancien membre du Conseil d’Administration de la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et auteur de Une histoire naturelle de l’Homme : L’écologie serait-elle une diversion ? (L’Artilleur, 2020), Bertrand Alliot revient sur le sommet mondial consacré à la biodiversité qui vient de s’achever à Marseille. Il souligne que notre regard sur la nature, notamment la faune, est erroné et dénonce un parti pris idéologique dans l’analyse qui est faite de ces questions complexes.

Par Mickaël Fonton

Publié le 15 septembre 2021 à 12h59

Pouvez-vous nous rappeler rapidement l’origine de ce sommet mondial de la nature qui s’est tenu la semaine dernière à Marseille et dont Emmanuel Macron a présidé l’ouverture…

L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), qui organise ce sommet, a été créé en 1948 et rassemble des ONG et des organismes gouvernementaux qui agissent pour la préservation de la biodiversité. Le congrès de la nature a lieu maintenant   tous les quatre ans et permet d’organiser « l’assemblée des membres », de présenter les innovations de la science de la « conservation » et, grâce à l’exposition, d’associer le grand public. Le but est de définir les priorités et les actions de conservation des espèces et l’événement sert de caisse de résonance médiatique pour que politiques et acteurs économiques se saisissent du sujet de « l’érosion de la biodiversité ».

Avant toute chose, on a l’impression que le terme de biodiversité [un peu comme celui de climat, d’ailleurs] n’est pas très bien défini…

En fait, le terme biodiversité est souvent utilisé de manière inappropriée. On entend par exemple que la biodiversité « est en danger » ou qu’elle est « menacée » or cela n’a pas de sens et il suffit de remplacer le mot par son parfait synonyme, « la diversité biologique », pour s’en rendre compte. La diversité peut diminuer, mais elle ne peut pas être menacée parce qu’il existera toujours une certaine diversité. En fait, le mot biodiversité est très souvent utilisé en lieu et place « des espèces » ou de la « faune et de la flore ».

En dehors de ça, le mot est bien défini, mais il renferme une réalité complexe qu’on appréhende que difficilement. Il désigne la diversité des milieux naturels, des espèces et même des gènes… On comprend assez facilement que faire de la « biodiversité » un objet de l’action politique est une gageure. En cela, la comparaison avec le climat est tout à fait pertinente car on se demande bien comment les sociétés humaines, qui plus est à l’échelle mondiale, pourrait avoir la maîtrise de tels « objets ». Comme je le dis souvent, le climat et la biodiversité sont « dans un angle mort de la raison politique ». Leur caractère « insaisissable » rend impossible leur prise en charge par l’agir humain.

En plus, le projet consistant à vouloir « préserver la biodiversité » présente une très forte contradiction car il consiste à vouloir figer une réalité qui par définition est toujours en mouvement. La diversité biologique évolue sans cesse dans le temps et dans l’espace en fonction des modifications de l’environnement… Tout est en mouvement car la nature s’adapte en permanence. Les « conservateurs » sont en train de renouer avec la vision fixiste que les savants naturalistes ont combattue au XVIIIème siècle. Nous assistons donc à un curieux retournement de l’histoire…

Ce flou dans la définition des termes peut-il être utilisé pour faire en sorte que le négatif masque toujours le positif ?

Avec un concept aussi vaste en effet, on peut toujours trouver des raisons de se plaindre ou de renforcer la législation… La diversité des milieux naturels par exemple est potentiellement infinie et on trouvera toujours une bonne raison pour caractériser comme « remarquable » ou digne d’intérêt un milieu particulier. De même, on pourra très souvent « découvrir » une espèce « intéressante » sur un territoire donné surtout si on focalise son attention sur les plus petites d’entre elles comme les insectes, araignées et autres bêtes minuscules. Par ailleurs, les conservateurs de la biodiversité s’intéressent non seulement aux espèces, mais aussi aux « sous-espèces » ou à ce que, dans le monde végétal, on appelle des « variétés »… Et enfin, on peut adopter un raisonnement régional : par exemple une espèce peut être très abondante à l’échelle de la France, mais être rare à l’échelle de l’Auvergne… On affirme qu’il s’agit d’une espèce « d’intérêt régional » et qu’il faut absolument agir pour la protéger à cet endroit… Et bien sûr, ce raisonnement peut se reproduire jusqu’à l’échelle communale… En fait, avec la biodiversité, les sources de préoccupation peuvent devenir innombrables ! C’est pourquoi il faudrait se donner un objectif plus modeste comme par exemple s’en tenir aux espèces les plus emblématiques…

En somme, sans faire trop d’approximations, la situation de cette « biodiversité » est-elle si dramatique [sixième extinction etc.]

Il est clair qu’à l’échelle globale, dans la mesure où l’espèce Homo sapiens modifie de manière importante l’environnement, beaucoup d’espèces se retrouvent fragilisées. Elles ne disparaissent pas forcément, mais le nombre d’individus des espèces en question peut se réduire considérablement. L’érosion de la biodiversité actuelle n’a pourtant rien à voir avec les grandes extinctions du passé qui ont été beaucoup plus violentes et radicales. Par ailleurs, si des espèces souffrent de l’avancée de l’homme, beaucoup d’autres en profitent en augmentant leurs effectifs… La photographie de la biodiversité n’est jamais la même au cours du temps comme je l’ai déjà dit et vouloir figer la réalité est littéralement impossible. Qu’on le veuille ou non, nous allons observer des « ré-ordonnancements ».

Enfin, dans les pays les plus développés où l’environnement a été profondément modifié, beaucoup d’espèces sont en parfaite santé. On a tendance à focaliser son attention sur les mauvaises nouvelles, mais il y en a aussi beaucoup d’excellentes. On souligne par exemple que la Pie-Grièche à poitrine rose a disparu récemment de France. Cette disparition n’est pas un drame pour l’espèce dans son ensemble car notre pays se situe en marge de son aire de répartition (qui va jusqu’à l’est de l’Asie). Mais surtout, qui sait que davantage d’espèces sont apparues en France dans le même temps : la Talève sultane, le Pygargue à queue blanche ou encore l’Elanion blanc. On met en valeur les seuls faits qui sont susceptibles d’alimenter le récit de la crise ou de la catastrophe et on passe les autres sous silence. A mon sens, l’influence des ONG, notamment sur le pouvoir politique, a gonflé considérablement au cours du temps et explique en partie cette folie du catastrophisme. Mais il ne faut jamais oublier que ces organisations ont intérêt à noircir le tableau car elles se nourrissent des mauvaises nouvelles. Ce sont elles qui leur permettent de collecter des fonds à même de soutenir leur « structure ».

L’Etat est attaqué pour « carence fautive » ; qu’en pensez-vous ?

Qu’encore une fois, les ONG et les associations ne savent plus quoi faire pour exister et qu’elles sont de plus en plus grisées par le succès. Plus on les suivra dans leurs analyses et diagnostics et plus elles oseront et se montreront ingrats. Depuis 40 ans, nombre de leurs revendications ont été prises en compte par l’Etat. C’est pour cette raison qu’elles sont obligées de se radicaliser : il leur faut trouver sans cesse des raisons de vivre et d’exister. En ce temps où beaucoup a été fait pour l’environnement, il faut comprendre que la radicalité est, pour elles, une nécessité vitale. Parce que leurs dirigeants profitent de leur notoriété et parce qu’ils ont de très nombreux salariés à rémunérer, elles n’ont ni l’envi ni le courage de se faire hara-kiri et l’élan vital les entraîne inexorablement vers plus en plus d’agressivité.

Il faut rendre impossible ce genre de recours absurdes portant sur des objets insaisissables et indéfinissables. Après 30 ans passés dans les ONG, j’en viens peu à peu à la conclusion qu’elles agissent contre l’intérêt général.

Un « CEO summit » vient de réunir des chefs d’entreprise au chevet de la biodiversité ; est-il possible d’y voir autre chose que l’explication suivante : « même les vilains capitalistes s’y mettent, c’est bien la preuve que c’est grave ».  

Dans le domaine de l’environnement, le phénomène le plus spectaculaire de ces dernières années est la conversion presque totale des élites politiques et des grandes entreprises à l’écologisme. Ce qui est fou c’est qu’auparavant cette conversion était feinte (ils se contentaient d’un peu de greenwashing), mais qu’aujourd’hui elle est totalement sincère. Elles reprennent sans nuance le diagnostic de la « crise » et sont de plus en plus convaincues qu’il faut entreprendre des actions radicales. Sous l’influence des écologistes, elles ont pris en France des décisions qui ont gravement affaibli l’Etat, par exemple dans le domaine crucial de l’énergie. Ce qui est grave ce n’est pas la situation de la biodiversité, c’est qu’avec ces histoires, les vilains capitalistes sont capables d’oublier que leur rôle est avant tout de faire vivre et survivre leurs entreprises. Le cas d’Emmanuel Faber, l’ancien PDG de Danone est éloquent. Vous écoutiez ce type, vous aviez l’impression d’avoir affaire à un mystique. Il semblait investi de la mission de « faire le bien » et de « sauver le monde ». Il me semble que ceci explique en partie son éviction ce qui peut montrer à quel point l’obsession de la crise et le sentiment d’urgence sont en train de modifier la manière de gouverner. Faber était une caricature et c’est peut-être pour cette raison que le « système » a fini par s’en débarrasser. Mais, il me semble qu’il existe un peu partout des petits Fabers, surtout dans les entreprises européennes. Le résultat de tout cela n’est pas forcément la banqueroute, mais la fragilisation d’entreprises qui rendent un service précieux à la population et, in fine, un délitement généralisé des services rendus à la société.

A un autre bout de la chaîne, on parle beaucoup de l’écologie citoyenne, les balcons en herbe, les terrasses ; est-ce que tout ceci est sérieux, au fond ?

Ceci n’est pas sérieux dans le sens où cela rentre dans le cadre unique du divertissement. Moi-même je fais tout pour attirer les oiseaux et les insectes dans mon jardin et je passe beaucoup de temps avec mes plantations. Cela me procure beaucoup de joie. Il y a de nombreuses personnes dans mon cas et certaines ont l’impression d’œuvrer pour une grande cause. C’est une illusion. Par contre, dans la mesure où ce genre de divertissement se multiplie, cela devient un business sur lequel surfent les ONG et les entreprises spécialisées… Et vous savez, le business, c’est très sérieux…