Les grandes écoles de commerce françaises ont-elles basculé dans une forme d’idéologie écologique ? C’est le constat dressé par le CERU, laboratoire d’idées universitaire, dans une note signée par sa présidente, Morgane Daury-Fauveau, professeure de droit privé et de sciences criminelles. Selon elle, les écoles de management ont opéré en une décennie une « réorientation radicale » de leurs enseignements, aujourd’hui très largement structurés par l’écologie, la durabilité et les objectifs de développement durable.
Une place croissante des cours liés à l’écologie
Le document observe d’abord un phénomène quantitatif : les cursus des grandes écoles (HEC, ESSEC, ESCP, EM Lyon, EDHEC, etc.) comprennent désormais des dizaines, parfois plus d’une centaine d’heures de formation à l’écologie, obligatoires dès la première année. La Fresque du climat est généralisée, tandis que le test international Sulitest — présenté comme le « TOEFL du développement durable » — est devenu un passage incontournable.
À Sciences Po, EM Lyon ou HEC, les étudiants débutent leur scolarité par des séminaires immersifs ou des cours magistraux consacrés au changement climatique, aux limites planétaires ou à la « mobilisation » pour la transition. Pour Morgane Daury-Fauveau, ces dispositifs relèvent moins d’une sensibilisation que d’un « conditionnement militant ».
Décroissance et Anthropocène au cœur du discours
La note dénonce également un glissement idéologique. Plusieurs écoles invitent régulièrement des chercheurs engagés dans des courants de pensée critiques du capitalisme ou favorables à la décroissance, comme Timothée Parrique ou Jean-Marc Jancovici. La décroissance aurait ainsi « fait son entrée » dans les amphis d’HEC, de l’ESSEC et de Sciences Po.
Autre point de tension : la diffusion du concept d’Anthropocène, présenté dans de nombreux cours comme une nouvelle époque géologique dominée par l’impact humain. Or la Commission internationale de stratigraphie a officiellement rejeté, en 2024, la reconnaissance scientifique de cette nouvelle ère. Malgré cela, certaines écoles ont créé des parcours, diplômes ou cours obligatoires explicitement structurés autour de l’Anthropocène.
L’intégration transversale : une transformation systémique
Au-delà de ces contenus, toutes les disciplines — finance, stratégie, marketing, RH — sont désormais retravaillées pour intégrer les enjeux climatiques et sociaux. Ce tournant s’inscrit dans le projet ClimatSup Business, piloté par Audencia et le think tank The Shift Project, qui vise à reformater l’ensemble des formations en gestion afin que « 100 % des étudiants » soient formés aux enjeux climat-énergie.
Le CERU décrit cette dynamique comme un « réalignement global » des maquettes pédagogiques sur une vision décroissante et anti-technologique de l’économie, au détriment d’approches pluralistes.
Classements et accréditations : moteurs puissants de la mutation
Selon la note, ce basculement n’est pas seulement le fruit des écoles : il est largement induit par les classements internationaux et français, ainsi que par les organismes d’accréditation. Le Financial Times, QS, THE ou Corporate Knights ont fait évoluer leurs critères pour accorder un poids déterminant à l’empreinte carbone, à la diversité ou à la proportion de cours liés au développement durable.
En France, L’Étudiant, Challenges ou Les Échos START ont adopté des méthodologies similaires, valorisant fortement les labels RSE et les stratégies écologiques. Résultat : les écoles seraient contraintes de suivre ces référentiels sous peine de déclassement, ce qui favoriserait une « uniformisation idéologique mondiale ».
Un risque pour la science, l’entreprise et la compétitivité ?
Pour Morgane Daury-Fauveau, cette réorientation massive n’est pas sans conséquences. Elle y voit d’abord une défiance croissante envers la science et l’innovation, souvent présentées comme des menaces plutôt que comme des solutions potentielles. Ensuite, elle anticipe l’arrivée sur le marché du travail d’une génération socialisée à une vision militante de l’entreprise, susceptible de refuser certains secteurs jugés « écocides » ou de contester de l’intérieur les choix stratégiques.
À plus long terme, la note estime que la compétitivité française pourrait pâtir de cette évolution si d’autres pays continuent de former des managers focalisés sur la croissance, l’innovation et la productivité.
Un plaidoyer pour le pluralisme
Le CERU insiste enfin sur l’enjeu démocratique : un enseignement supérieur qui place la décroissance et l’Anthropocène comme cadres uniques de réflexion renoncerait à sa mission plurielle. L’écologie doit pouvoir être discutée, nuancée, confrontée à d’autres impératifs économiques, sociaux ou technologiques. Pour l’auteur, c’est précisément ce débat contradictoire qui semble manquer aujourd’hui dans les grandes écoles.

